Le parent pauvre ou l’éducation olfactive par Christian Launay

          De nos jours, nous vivons dans un monde à dimension essentiellement Audio-Visuel. Et c’est la dimension visuelle qui prédomine, à croire que nous aurions pu rester plus longtemps à l’époque du cinéma muet… Qui aurait cru qu’un jour on développerait, sur un téléphone, des écrans de plus en plus grands, grâce auxquels on peut regarder un film, un relevé de banque ou une carte routière, bref, si nos aïeux voyaient cela, ils n’en croiraient pas leurs yeux.

          Il y a pléthore d’expressions populaires concernant le visuel : « des étoiles plein les yeux », « s’en mettre plein la vue ». Pour le sens auditif, il y en déjà moins : « être sourd comme un pot », « faire la sourde oreille » . Pour le sens olfactif, c’est beaucoup plus pauvre déjà : « cela ne sent pas la rose » ou « je peux pas le sentir ».

          Actuellement, le sens audio est en train de gagner du terrain, lui aussi se taille la part du lion. Qui n’a pas été bluffé par la puissance et la qualité du son qui sort d’un poste de radio portatif, son que l’on croirait sorti d’une chaîne hi-fi ? Non seulement le son est de plus en plus performant, mais il est omniprésent, on le retrouve partout dans les galeries marchandes, les gares, les aéroports, les ascenseurs, les restaurants, les voitures, et même dans les toilettes des établissements de luxe etc..

         Le sens gustatif, le goût, a connu cette dernière décennie une fulgurante expansion. Ce bond en avant a pu se faire grâce aux innombrables émissions télévisées qui n’ont eu de cesse de promouvoir la cuisine à tout va, (pas toujours de bon goût d’ailleurs !) Là encore, le visuel a été prévalant, le monde de la cuisine peut dire un immense merci à la télé. Tout comme, à son tour, le monde du nez peut remercier l’univers du palais, et tous les métiers de bouche qui s’y rattachent. C’est bien connu, avant même de goûter un mets, on commence par le humer, le fumet aiguille le goûteur sur la dégustation.

          Qui n’a pas été pris à la gorge par l’odeur intrinsèque d’un foyer lorsqu’on franchit le seuil de la porte de l’habitation des uns et des autres ? Une odeur unique qui caractérise chaque logement, un mélange de parfum, d’odeurs de cuisine, d’encens, d’encaustique etc… là, déjà, s’opère un premier décodage social, certes brouillon, mais déjà bien parlant.

          Tout comme il n’existe pas deux visages semblables, pas même chez les jumeaux, chaque individu a sa propre odeur. D’ailleurs, en dynamique de relation de conquête amoureuse, celle-ci ne pourra se concrétiser que si les odeurs de l’un et de l’autre sont compatibles.

          Eh oui ! l’accès à une éventuelle histoire d’Amour passe par le sens olfactif. D’ailleurs, ne dit-on pas, « je t’ai dans la peau », quand une personne est follement amoureuse ? En l’occurrence, ici, c’est l’association du toucher et de l’odorat qui opère.

Il a fallu attendre le courant des années 80 pour que le sens olfactif soit davantage promotionné, et cela grâce à l’essor des ventes en parfumerie. Ce sont les grandes enseignes comme Marionnaud et Séphora qui, ayant racheté des petites parfumeries, ont pu proposer des produits, à qualité égale, plus abordable. Elles ont permis de démocratiser ce commerce, jusqu’alors considéré comme de luxe.

          Nous nous sommes « mis au parfum », nous avons donc démarré notre éducation olfactive grâce à la découverte de l’univers des odeurs, au travers des notes que l’on pouvait distinguer dans l’assemblage de notre parfum ou eau de toilette. Du coup, pour une fois, l’on peut mettre son nez dans une affaire, (celle de la composition d’un parfum), sans être taxé d’indélicatesse.

          Le Musée International de la Parfumerie de Grasse, a montré l’exemple en proposant au public des ateliers pratiques et ludiques : on ne se contente plus de parler, de montrer des plantes odorifères, on vous invite à les sniffer. Quelle aventure, quel délice !

          Il n’est jamais trop tard pour éduquer le nez des grands, il n’est jamais trop tôt pour éveiller le nez des petits. Ce qui est vraiment étonnant, c’est que les critères d’appréciation pour une odeur, l’agréable ou le désagréable, varient en fonction des cultures et de l’éducation. Le durian qui, pour nous, renvoie une odeur pestilentielle, pour nos amis asiatiques, cela constitue un dessert délicieux.

Christian Launay