NUCLEAIRE: STOP OU ENCORE? par P. Marques (écrit en décembre 2018)

En principe, devrait s’ouvrir à partir de mi-janvier et pour 3 mois environ, une grande consultation publique sur la transition énergétique, et donc, vu son importance dans le mix énergétique, sur le devenir de la filière nucléaire. L’occasion peut-être de se pencher sur le dossier extrêmement épais du nucléaire en France:
La question n’est pas tant de savoir si l’on doit se séparer de cette énergie et passer à autre chose mais : à quel rythme le faisons nous et quid des déchets générés et «accessoirement», du financement ? La difficulté vient du fait que la France possède 58 réacteurs et l’on se doute bien, vu les difficultés rencontrées ailleurs, que ce ne sera pas une mince affaire de se passer du nucléaire!
Rappelons rapidement pourquoi se tourner vers d’autres formes d’énergie :
En premier lieu, la sécurité : Three Miles Island, Tchernobyl, Fukushima au rayon des catastrophes majeures, de multiples incidents plus ou moins graves sur le parc français, celui de la centrale du Blayais lors de la tempête de 1999 étant sans doute l’un des plus graves (certains l’ont qualifié de Tchernobyl raté). L’opacité entretenue par les diverses autorités en charge du nucléaire, gouvernements de tous bords en tête, n’arrange rien à l’affaire. Un exemple ? : cet accident du Blayais a été classé en catégorie 2 seulement sur une échelle qui en comporte 7 ! Le vieillissement du parc français (31 ans en moyenne, 6 réacteurs ayant 40 ans) est également inquiétant et certaines pièces du puzzle constitué par une centrale sont dans un état préoccupant : corrosion des pompes de refroidissement sur… 29 réacteurs, béton ayant mal vieilli, etc. Ajoutons que Greenpeace a fait plusieurs fois la preuve qu’une intrusion était possible, que l’état de recours excessif à la sous-traitance entraine une sécurité diluée au fil des entreprises en charge de l’entretien plus la perte d’expertise d’EDF. N’en jetez plus!
Deuxième gros souci, les déchets : Nous en produisons bon an mal an, 2 kg par an et par personne; un million et demi de m3 de déchets sont entreposés un peu partout en France (voir la carte sur le site «Reporterre») et à cela, il faut rajouter les 300 à 400 000 T de matières radioactives (uranium appauvri et Mox) que les autorités ne nomment pas déchets car potentiellement réutilisables, appelons un chat un chat : ce sont bien des déchets ! Le démantèlement des centrales et les énormes quantités de déchets qui seront générés vont rendre le problème du stockage quasiment ingérable tout simplement parce qu’il n’y a pas à ce jour de bonnes solutions : l’enfouissement profond ne peut garantir une sécurité à 100% sur plusieurs siècles, personne ne le peut d’ailleurs. Le stockage en piscine connaît des problèmes de fuite (!), et celui à l’air libre bute sur l’extension des sites actuels ou sur la création de nouveaux : personne n’en veut, difficile de leur en vouloir!
Troisième point, l’aspect financier : Le nucléaire, «ça coûte un pognon de dingue! » pour paraphraser E. Macron: coûts des différentes mises à niveau et réparations, de gestion des déchets, et enfin du démantèlement des centrales ; estimé à 18,4 Mds d’€ pour les 58 réacteurs par une commission sénatoriale (2012), il est largement sous estimé : le coût du démantèlement de la centrale de Greifswald en Allemagne (6 réacteurs) s’élève d’ores et déjà à 3 Mds pour une grosse moitié du travail accompli. Au total, sans trop se tromper, le coût total sera de l’ordre de 6 Mds, soit 1 Mds par réacteur. A moins de considérer que nous sommes plus efficaces que les allemands, la facture sera donc plutôt de l’ordre de 60 Mds. Si en plus, l’état fait le choix, et du «grand carénage» (travaux pour l ‘extension à 50 ou 60 ans de la période d’activité des centrales), c’est 2,5 à 6 Mds d’Euros par réacteur pour au final se retrouver dans la même situation, et du développement de l’EPR avec son cortège de surcoûts et malfaçons c’est engloutir la quasi-totalité des capacités de financement de la politique énergétique de la France dans l’atome au détriment du développement des énergies renouvelables.
Côté positif, la production nucléaire d’électricité ne rejette pas de CO2, même si… la construction d’une centrale engloutit de grandes quantité de béton dont la fabrication est très émettrice de gaz à effet de serre (pour l’EPR de Flamanville, c’est environ 55 tonnes éq. CO2) et l’extraction d’uranium n’est pas en reste non plus côté dégâts environnementaux. Autres aspects à prendre en compte, la filière représente 220 000 emplois directs et indirects en France et certaines communes sont financièrement quasi dépendantes de ces installations. Les réticences à la fermeture de Fessenheim sont là pour rappeler qu’il faut une réflexion globale pour que cette transition se passe du mieux possible.
Les solutions pour une production d’électricité entièrement renouvelable en 2050, elles existent et c’est l’ADEME qui le dit dans une étude de 2015. Elle va même plus loin que celle de Greenpeace (voir sur le site de l’ADEME, onglet «recherche et innovation») ! En voici deux des axes principaux :
Réduction de la consommation : c’est en quelque sorte la mère de toutes les batailles. Parmi les axes privilégiés, le bâtiment et en particulier l’isolation dans l’ancien. La France est un des pays où le chauffage des logements est le plus électrifié : le parc de chauffage électrique français représente la moitié du parc européen ! Un gisement d’économies très important donc. Un chiffre pour rappeler les enjeux sociaux également : 12 millions de personnes sont en précarité énergétique. La réduction de la consommation c’est aussi notre responsabilité en tant qu’individu, par des gestes simples bien connus, ou moins connus comme notre activité sur internet : le visionnage d’un film en streaming consomme l’équivalent de 1 000 ampoules allumées pendant 1 heure. On le sait peu, mais les activités numériques représentent désormais 7% de la production électrique mondiale. Supprimer ses vieux mails, compresser les fichiers que l’on envoie dans le cloud, etc, ce sont quelques moyens de réduire notre empreinte «électrique». Les différentes strates administratives (communes, département, régions) ont également leur rôle à jouer : pourquoi ne pas réduire par exemple l’éclairage public et privé?
Développement des énergies renouvelables : Le nucléaire c’est 385 TWh d’électricité produite en 2016 (72% du total), qu’il faudra bien compenser tout en assurant une continuité dans la production, sauf à faire appel aux centrales à gaz ou à l’importation. Le lobby du nucléaire ayant réussi à mettre en avant ses projets (EPR et grand carénage), cela s’est fait au détriment du développement d’autres filières. Un seul exemple : malgré une façade maritime immense, à ce jour, la France n’a aucune éolienne offshore raccordée au réseau (1 753 en Angleterre, 1 169 en Allemagne). Dans le scénario de l’ADEME la recherche, dans le domaine du stockage en particulier, sera également primordiale.
Il faut sortir du tout nucléaire, c’est une certitude, mais, parce que les différents gouvernements ont prêté une oreille trop attentive aux tenants du nucléaire, nous nous retrouvons quasiment au pied du mur : rien qu’en 1980 et 81, 15 réacteurs ont été construits et vont atteindre 40 ans de fonctionnement dès 2020, demain donc ! Le débat public qui va s’ouvrir doit être l’occasion de montrer qu’une majorité de français veulent sortir du nucléaire, et veulent un engagement réel du gouvernement dans la lutte contre le réchauffement. Les pétitions ne suffisant plus, peut-être que des actions plus médiatiques, type gilets jaunes ou, comme en Angleterre où depuis l’automne un collectif citoyen «Extinction rebellion», prône la désobéissance civile non violente, seraient nécessaires. Peut-être également, sortira t-il quelque chose des actions en justice contre l’état français?! Continuons à mettre la pression!