L’OEIL DE MOSCOU EST CHINOIS, INDIEN OU …. FRANCAIS! par Philippe Marques

Le 15 mai 2018, une jeune femme traverse une rue de Shenzen alors que le feu est au rouge pour les piétons; aussitôt, son visage et son nom apparaissent sur un écran abribus qui signale son infraction! Son visage sera retiré lorsqu’elle aura payé l’amende. Un jour de février 2018, un homme dérobe un stylo plume dans un magasin de Shangaï et sort dans la rue sans être arrêté. Quelques mois plus tard, il est interpellé parmi la foule, lors d’un concert de DEMERIT, son groupe préféré. Comment les policiers ont-ils réussi à lui mettre la main au collet, au milieu de dizaines de milliers de spectateurs?! Le secret réside dans les tout derniers logiciels de reconnaissance faciale mis au point par les chercheurs ainsi que les progrès réalisés en matière d’intelligence artificielle: les visages de Mr Zhou et de Mme Wang (les noms et les lieux ont été modifiés afin de… vous connaissez la suite!) étaient dans la gigantesque base de données de la police et la présence de caméras de dernière génération a fait le reste.
Dans l’ensemble du pays, 176 millions de caméras (5 à 600 millions dans les 3 ans à venir!) scrutent ainsi la population chinoise. Pour ceux qui connaissent la série «Persons of interest», le rendu sur les écrans de contrôle donne à peu près le même résultat: un petit carré vert ou orange vient se caler sur les visages de tous les individus qui passent à portée de la caméra (sans parler des plaques d’immatriculation) et les suit tout au long de leur passage. Un vrai ballet de pixels hypnotique qui ressemble à un jeu mais… qui est loin d’en être un pour les dirigeants chinois. En effet, hormis cette possibilité de sanctionner le moindre début d’infraction mis en avant par les officiels et de rendre, selon la terminologie chinoise, la société plus «harmonieuse», ils se gardent bien de parler d’autres possibilités offertes par ces technologies, comme par exemple, grâce à un algorithme dédié, celle de signaler un attroupement suspect qui pourrait «dégénérer» en manifestation contre le pouvoir, ou celle bien pratique de suivre les opposants, leurs proches, ou des intellectuels qui réfléchissent un peu trop! La Chine représente à elle seule, 42% du marché mondial avec 2 sociétés devenues leaders, Hikvision et Dahua et détenues en partie par l’état chinois. Ce qui commence à faire tousser dans les pays occidentaux qui craignent des intrusions au cœur des entreprises ou même au sein de l’appareil d’état. On a vu avec l’exemple édifiant des piratages de la NSA de nos «amis» américains, que ce n’était pas de la science fiction!

Avec ces dispositifs de vidéo surveillance (et non de protection puisque protéger c’est intervenir afin d’éviter qu’un délit ne se produise, les caméras ne pouvant elles que le constater), le risque de mise au pas de la population par le contrôle de tout ce qui pourrait être perçu par le pouvoir en place comme une menace contre lui, est bien réel. Couplés à d’autres systèmes, comme le fichage biométrique des individus, à l’instar de l’AADHAAR mis en œuvre en Inde pour ses 1,3Mds d’habitants, ils sont une menace pour les libertés individuelles. Les régimes autoritaires en sont d’ailleurs très friands, mais pas seulement! La France par exemple s’y intéresse et le fait savoir par la voix du ministre de l’intérieur: «l’intelligence artificielle doit permettre par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre…». On aimerait bien savoir à partir de quand commence l’étrangeté d’une attitude!? Lorsqu’on défile dans la rue avec une pancarte dans les mains? Après tout, c’est un objet contondant!? Ou lorsqu’on court pour fuir des casseurs? Si on fuit, c’est qu’on a quelque chose à se reprocher, non!? Autre signe de l’intérêt que lui porte le gouvernement, la signature en mai d’une convention entre la direction du renseignement militaire (DRM) et le CNRS concernant les recherches sur l’intelligence artificielle appliquée à la reconnaissance d’image.
Ces nouveaux moyens techniques pourraient servir à surveiller des personnes radicalisées et leur entourage mais aussi, et c’est plus gênant, des opposants à tel ou tel projet soutenu par le gouvernement (mine d’or en Guyane, enfouissement des déchets nucléaires à Bure…etc) afin d’agir en amont d’éventuelles manifestations ou rassemblements en arrêtant ou en empêchant «préventivement» une personne connue pour son activisme politique d’y participer. On est plus très loin d’une société à la «Minority report». Les raisons invoquées pour défendre cette politique sont bien connues: sécurité des populations, réduction de la délinquance, terrorisme. Sauf que l’efficacité de ces technologies est loin d’avoir été démontrée, tant sur la délinquance qui ne diminue pas mais se déplace et sur les actes terroristes où le travail des hommes (infiltration, surveillance etc) est essentiel et beaucoup plus efficace.
Il faut dire que ces technologies sont d’ores et déjà très présentes dans de nombreux secteurs: aucun grand fabricant de téléphone ne peut se passer de proposer la reconnaissance faciale à ses clients sous peine de voir son cours dévisser en bourse! Au Japon, en Chine et ailleurs, la reconnaissance faciale permet de régler ses achats dans de nombreux commerces ou de franchir plus rapidement les portiques des aéroports ou des gares. En Inde la généralisation de la carte d’identité biométrique est indispensable pour toutes les démarches administratives, pour inscrire son enfant à l’école ou pour se faire soigner. Malheur à celui dont les doigts sont abîmés par le travail ou avec les yeux injectés de sang.

Plus anecdotique mais ça en dit long sur notre société, un géant de l’aquaculture norvégien utilise la reconnaissance faciale pour identifier ses saumons afin de soigner uniquement (à grands coup d’antibiotiques) ceux qui en ont besoin! Ca leur évite de se poser des questions sur leur manière de produire ces saumons. Même technologie dans un élevage de poulets en Chine: Les futurs acheteurs peuvent ainsi suivre sur leur téléphone les pérégrinations de leur prochain repas: nombre de pas, quantité de nourriture avalée, accès aux caméras du poulailler, etc… On se rassure comme on peut!.
Ceux qui se frottent les mains, ce sont les entreprises qui travaillent dans ce secteur et réalisent de juteux profits tant les politiques sont friands de ce genre de technologies. Les communes du département, dont la notre, s’équipent d’un grand nombre de caméras coûteuses à l’achat, en fonctionnement et en entretien pour une efficacité qui n’est pas, encore une fois, démontrée. Le maire de Nice en a convenu à demi-mot dernièrement en mettant en avant non pas le rôle préventif ou dissuasif de sa « kolossal » installation mais celui de facilitateur de résolution des délits. Allez, encore un petit effort et on pourra s’en servir de pots de fleurs! Contrairement à d’autres secteurs comme l’environnement, le social ou l’éducation, nos dirigeants ne regardent pas à la dépense! Et tant qu’ils penseront qu’ils ont un gain électoral à attendre, ils continueront de bercer leurs électeurs d’illusions. Sans parler de ceux (on espère qu’ils ne sont pas nombreux!?)qui ont vraiment la volonté de «contrôler» la population en surveillant et en muselant si nécessaire ceux qui dévieraient de la Voie royale tracée par des dirigeants forcément «éclairés».

Soyons lucides et vigilants.